De Molsheim au monde entier - L'homme aux 70 Bugatti

Publié le par jbs67

 De Molsheim au monde entier - L'homme aux 70 Bugatti

 

article publié dans les Dernières Nouvelles d'Alsace du vendredi 10 septembre 2010

 

L'homme aux 70 Bugatti

     Si Edouard Klein sonne à la porte, c'est que la vie roule pour vous, a priori. Et que la voiture de série la plus exclusive de la planète ronfle dans votre garage. Ce Strasbourgeois exerce, pour Bugatti, un métier sans pareil : il bichonne, à leur domicile, les voitures des richissimes clients de la marque, qui a été réimplantée à Molsheim en 2005.

Edouard Klein devant son « bureau », à Molsheim, où les Bugatti reviennent en container, parfois de très loin, subir leur contrôle annuel. A moins que lui-même ne s'envole vers de riches clients, sur le mode mécanicien sans frontière. (Photo DNA - Christian Lutz-Sorg)
Les métiers de rêve ne sont plus ce qu'ils étaient. Les pilotes de l'air volent d'une grève à l'autre, les footballeurs millionnaires pleurent au fond d'un bus, les rock stars ne chantent l'exil qu'à sous-entendu fiscal. Triste.
 A croire qu'il n'est plus guère, ici-bas, de paradis professionnel. Sur la question, un Alsacien serait habilité à faire objection. S'il ne se tenait, par sorte de déformation professionnelle, à une ferme discrétion, marque entendue du monde qu'il côtoie.

De retour à Molsheim pour la révision

      Edouard Klein fait son quotidien de l'exception. Son bureau, d'ailleurs, parle pour lui. Ce n'est pas tant l'ordinateur portable, à main gauche, qui impressionnerait. Plutôt tourner la tête dans l'autre sens, les trois Bugatti bombesques garées dans la pièce, toutes immatriculations masquées par souci de confidentialité. Cinq millions d'euros au bas mot, juste en bout de table. On a vu plus misérable, comme déco d'intérieur.
 Des aficionados suffoqueraient. Lui, cheveu noir impeccable, polo itou et bronzage assorti, a franchi un cap. Son horizon dépasse ces quelques fauves de tôle rapatriés à Molsheim pour (re)dressage annuel.
 Depuis deux ans et demi, Edouard Klein passe le plus clair de ses semaines ailleurs. Loin. Au chevet de l'une ou l'autre des 70 Bugatti qu'il suit personnellement, jusque dans le garage de leurs propriétaires des antipodes.
 Comme trois de ses collègues, dont l'un basé en permanence aux Etats-Unis, ce spécimen de l'après-vente est qualifié de "flying doctor" chez Bugatti. Traduisez : expert itinérant, appelé à intervenir sur les petits - et les moins petits - pépins rencontrés par des consommateurs un peu particuliers. Des gens sans réels soucis matériels, il va sans dire. Un salaire annuel courant ne suffirait pas à payer l'entretien de la machine.

Un métier hors du temps et de ses contraintes

      Au croisement du luxe et de la performance, Edouard Klein ne fait pas son faux modeste : il reconnaît franco avoir « de la chance ». Voitures d'exception, clients du bout du monde (inutile de demander des noms), métier hors du temps et de ses contraintes.
 Lorsqu'il se penche sur l'une des spécialités maison, rien ne doit compter hors le résultat. « Irréprochable ». Question de standing certes. Et encore plus de sécurité : ces missiles sol-sol peuvent taper les 400 km/h sur circuit. Sur nos routes bucoliques et obligatoirement dégagées, ils passent de l'arrêt total à l'excès de vitesse en moins de temps qu'il ne vous en faut pour prononcer distinctement Bu-ga-tti.
 A 39 ans, et malgré des voyages aériens en rafales, le soigneur-maison s'emploie à garder ses semelles de caoutchouc sur terre. Evoque du coup le stress qu'implique la responsabilité d'objets hors normes. Compile, à force de questions un peu naïves, les qualités réclamées par le job : diplomatie, flexibilité, exigence...
 Et puis de l'humilité. Face à la complexité d'une Bugatti moderne, il se déclare, demi-plaisanterie, « en formation permanente ». A appris aussi à « être calme », au moment d'élaborer ce qui s'apparente parfois à une « stratégie de dépannage ». En plongée dans des entrelacs de carbone sans aucune vis apparente. Pas dans le style MacGyver, en tout cas, oubliez chewing-gum et bouts de ficelle. Un petit côté maniaque affleure, chez lui comme chez ses collègues - dont un seul n'est pas Alsacien !

Des mouflets de deux tonnes à la voix drôlement rauque

      Bien sûr, il n'y a pas eu que Bugatti dans sa vie. Après un IUT génie mécanique à Mulhouse et Polytechnique-Lille, l'ingénieur a tourné chez Peugeot puis Timken, tâtant du volant sur circuit et en côte. Le contact des Veyron et des Grand Sport, jusqu'en Chine ou plus souvent à Londres, demeure son plus grand virage personnel.
 Ces tribulations automobiles laissent d'autres traces que celles de pneus sur le bitume. La mécanique sans frontières, ça fatigue un peu l'homme, aussi. L'air de rien, il confie avoir deux enfants. Manière de s'excuser, ou pas loin, de ne pas donner la totalité de ses jours à ses 70 autres « bébés » faits d'aluminium, d'alcantara et de cuir.
 Des mouflets de deux tonnes pièce, quand même, à la voix étonnamment rauque, « mais pas capricieux du tout, dociles ». Bien des gens se damneraient pour adopter, quelques secondes seulement, une Bugatti de 1 001 chevaux. Lui les cravache patiemment, longuement. « Obligé », jure-t-il, sans rire. Dur métier, le rêve.

Didier Rose

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